L'Ombre des Gladiateurs - Partie 1

17/06/2014 08:58

Cinq volontaires, dénombra le maître des jeux Cassius, en scrutant le groupe de bouseux debout devant lui. C’était bien la première fois où l’effectif était supérieur à celui demandé. Surtout dans cette province celte de la Gaule.

Son regard passa sur chacun d’eux. Les regarder le mettait mal à l’aise. Ils étaient si sales, si… médiocres. Des paysans, voilà ce qu’ils étaient tous ! Pas des gladiateurs ! Comment allait-il expliquer ça en rentrant à Rome ? Il entendait déjà ses confrères se gausser de lui. Des gueux pour servir l’Empereur ! Quelle bonne farce. Mais aussi gueux soient-ils, ses hommes là étaient volontaires… Enfin, il y avait tout de même une jeune femme parmi eux. Si elle ne correspondait pas aux attentes pour un gladiateur, elle pourrait toujours faire une ravissante putain. La promesse de la richesse attirait tout le monde.

Il leur manque quelques milliers de pièces d’or, en effet, pensa  Cassius en scrutant d’une moue dégoutée la pauvre campagne autour de lui. Le style Celte ne lui plaisait pas. Où que son regard se posait, il ne voyait que pauvreté et insalubrité. La misère était chose commune ici. Cassius ne comprenait que trop bien leur désir de s’en extirper. L’Empereur promettait une forte récompense aux vainqueurs.

Assez pour pouvoir racheter ce tas de merde, ajouta mentalement le maître en parcourant les vieilles bâtisses qui ne tenaient debout que par miracle.

La nouvelle avait ébranlé tout le continent : les jeux de Gladiateurs reprenaient, et cette fois-ci, les règles avaient été légèrement modifiées. L’Empereur avait jugé bon de réinstaurer la pratique de ce sport, bien que plusieurs millénaires les séparent de l’Antique Rome. L’époque glorieuse ou l’empire romain dominait était loin derrière eux, mais la chute du monde moderne, avec toutes ses technologies et ses progrès, avait comme créé un retour aux sources. Les années 2000 avaient eu leur pesant de gloire, mais comme pour toute chose, celle-ci prit fin et voici que le XXVIème siècle était  presque une copie conforme de son ancêtre de l’Antiquité. Les mêmes noms géographiques, les mêmes pratiques religieuses, le même mode de vie. Toutes les avancées technologiques avaient été détruites à la fin du XXIème siècle et la mode Antique avait été très vite adoptée. On ne sait pas pourquoi se fut celle-ci et pas une autre. Mais le fait est que depuis près de cinq siècles, l’Antiquité revivait et Rome voyait son second impérialisme. Toutes les anciennes puissances étaient retournées dans l’ombre. Les Etats-Unis n’existaient plus, dans le sens où leur puissance était réduite à néant. Ils étaient cependant toujours sur la carte, mais ne signifiaient plus grand-chose aux yeux de Rome, qui avait assit sa domination sur le reste du monde.

Cassius passa une main dans son imposante barbe grisonnante et examina de plus près chacune des recrues.

Le premier était un homme d’une soixantaine d’années. Il n’était pas très grand et son dos se courbait sous le poids des décennies de travail dans les champs. Il ne tiendrait pas plus d’une heure dans les jeux. Le vieillard sembla le voir dans le regard du maître car il se rapetissa d’avantage et se retourna vers son village.

-           Tu peux rentrer chez toi, lui dit Cassius. Nous ne voulons pas de vieillards inaptes pour ces premiers jeux. Va finir ta vie chez toi. Mourir à Rome ne t’apportera rien d’autre qu’une épée en travers de la gorge.

L’homme le regarda bêtement. Il ne semblait pas comprendre. Un vieillard débile en plus de fragile… Il ne parlait pas le latin. Le maître coula un regard vers le deuxième volontaire, qui était tout le contraire du premier. Bâti sur le modèle d’une montagne, il devait avoir la petite vingtaine. Ses bras et ses cuisses étaient pourvus de muscles saillants et son torse était si large qu’il semblait impossible d’en faire le tour, même avec les deux bras.

-         Tu parles latin ? demanda Cassius.

Le jeune homme se contenta d’opiner du chef.

-         Dans ce cas dit lui qu’il rentre chez lui.

Le garçon s’exécuta dans sa langue gauloise, ce qui donnait des frissons à Cassius à chaque fois. C’était un langage de barbare certes, mais l’on y recelait une certaine puissance et voire même une lueur de majesté.

Le vieillard agrippa le bras du garçon et secoua la tête en écarquillant les yeux. Il débitait un flot de paroles incompréhensibles et le jeune homme essayait tant bien que mal de lui faire entendre raison, mais il refusait de l’écouter. Ses yeux fous allaient de son village au maître et il pointait les bâtisses derrière en voulant faire passer un message, mais Cassius ne comprenait pas. Il chercha un soutien chez le jeune homme qui commençait à s’échauffer et à faire de grands gestes en direction du hameau.

-         Que dit-il ? demanda le maître.

-           Il refuse de retourner chez lui, répondit le garçon dans un latin étonnement bien maîtrisé. Il dit qu’il n’a plus rien là-bas. Il dit qu’il veut devenir un gladiateur.

-         Dit-lui que je refuse, dit Cassius en regardant le vieux de haut.

-         Mais il est volontaire ! protesta le jeune homme.

-           Il ne servira à rien d’autre qu’à mouiller les épées de ses adversaires de son sang.

-           N’empêche qu’il se porte volontaire !

La gifle partit avant que le cerveau n’ait eu le temps de réagir. Mais alors que la main du Romain commençait à lui faire mal sous la violence de l’impact, le Celte, lui, semblait à peine l’avoir senti. Il se contentait de fixer le maître droit dans les yeux, les mâchoires serrées.

Cassius se tourna vers un des soldats qu’il avait emmené avec lui.

-           Enchaine-moi celui-là, dit-il en coulant un regard assassin au garçon. Et surveillez-le jusqu’à notre arrivée à Rome.

Puis à un second soldat.

-         Tuez le vieux.

Le premier homme attacha les mains du garçon devant lui avec une grosse chaîne et des fers. Il ne se débattit pas, contrairement à ce qu’avait pensé Cassius. Il était même plutôt coopératif. Mais malgré son attitude soumise, son regard demeurait meurtrier.

On a un gladiateur, pensa le maître. Un homme sur qui Rome pourra parier.

Cassius sourit au jeune homme et vint se poster à une dizaine de centimètres de lui. Ainsi enchaîné il lui semblait moins impressionnant. Il n’en retira cependant pas la main de sa dague accrochée à sa ceinture.

-           Tu apprendras la discipline, mon garçon, dit-il. A Rome, les sauvages n’ont leur place que dans l’arène ou dans la fosse commune. Tu feras honneur à ton Empereur.

Le garçon cracha aux pieds du maître et plongea son regard haineux dans celui du romain.

-           Je n’ai pas d’Empereur. Mon seul maître est celui que mon esprit façonne. Je n’appartiens qu’à moi-même.

-           Et pourtant je vais t’emmener comme un vulgaire esclave, répondit Cassius, la colère altérant sa voix.

Derrière lui, le vieillard n’en finissait pas de se débattre. Il regardait le jeune homme d’un air suppliant mais Cassius vit que celui-ci détourna son regard et focalisa son attention sur un point bien au dessus de lui. Lorsque la lame lui trancha la gorge, un bruit semblable à un gargouillis sortit d’entre ses lèvres. Du sang perla sous son menton et sa vieille carcasse s’effondra sur elle-même. Le soldat romain essuya sa lame poisseuse sur le pantalon du vieillard, un sourire sur les lèvres, et rengaina.

-           Très bien ! clama Cassius. Cela réduit donc l’effectif à quatre. Emmenez déjà cette brute, dit-il en désignant le jeune homme. Et faites attention, il pourrait avoir envie de se débattre.

Deux soldats s’emparèrent du garçon et l’emmenèrent jusqu’à une carriole où ils le forcèrent à s’asseoir. Le Celte obtempéra sans résistance et inspecta d’un regard vide l’intérieur du véhicule.

-           Emmenez aussi ces deux là, ajouta le maître en désignant les deux derniers hommes du lot. Et mettez-les le plus loin possible du barbare. Je les veux tous vivants jusqu’à Rome. Ils auront tout le loisir de se déchiqueter une fois arrivés.

Il regarda s’en aller les deux hommes et une fois assuré qu’ils étaient bien à bord de la carriole, il reporta son attention sur la dernière recrue.

C’était la première fois qu’une femme se portait volontaire depuis qu’il avait commencé à faire le recrutement. En la regardant, Cassius ne pu s’empêcher de voir en elle une louve. C’était peut-être ses longs cheveux noirs et épais ou bien ses yeux gris légèrement étirés… Le fait est qu’elle avait quelque chose de sauvage, voire d’animale. Elle était petite, un mètre soixante-cinq, tout au plus, et de ce qu’il en voyait, sa silhouette était plutôt fine. Cassius n’était même pas sûr qu’elle ait plus de vingt ans.

-         Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.

Pas de réponse. La jeune femme regardait droit devant elle et son port était droit. Ses habits n’étaient que l’ombre d’eux-mêmes, troués et sales. Mais sa chevelure était magnifique. Elle ferait des ravages dans un bordel…

-         Comprends-tu ce que je dis ?

-         Oui.

Sa voix était grave pour une femme. Le genre de voix que l’on qualifie de sensuelle. Cassius sourit.

-         Dans ce cas, répond à ma question.

-         Non.

-           Très bien… dit le maître en passant une main dans sa barbe. Quel âge as-tu alors ? Tu me parais bien jeune.

-           Pas plus que d’autres, répondit-elle en gardant son regard fixé sur un point imaginaire.

-           Mais plus jeune que ces hommes, dit-il en montrant les trois dans la carriole.

-           Je ne sais pas.

-           Je vois. Montes, finit-il par dire. Et n’écarte pas trop les cuisses durant le voyage. Tu auras besoin de marché à Rome.

La jeune femme posa pour la première fois son regard sur lui et il sentit un frisson le parcourir des pieds à la tête. Il y avait quelque chose de spéciale chez ce petit bout de femme et alors que celle-ci se dirigeait vers ses compagnons, Cassius se promit de découvrir quoi.

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