Only One - Alisen : Chapitre 12
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Le fauteuil dans lequel je suis assise est si épais que j’ai l’impression que mes fesses s’enfoncent dedans. Je regarde le Secrétaire, ou tout du moins sa cagoule, mais ne touche pas à la tasse de thé posée devant moi. Trop de politesse pour que ce soit sincère…
Je n’arrive toujours pas à croire que l’homme à la base de ce massacre soit assis juste devant moi en train de siroter son thé à la menthe, sans même se sentir gêné d’avoir la sœur d’une des précédentes victimes dans sa maison. C’en est presque inhumain.
Mais ce qui me perturbe le plus dans tout ça, c’est le masque. Le même masque depuis toutes ces années. Pas une seule apparition sans. A quoi peut-il ressembler pour devoir cacher son visage ? Est-il seulement humain ?
Le Secrétaire semble avoir remarqué mon regard scrutateur et toussote d’une manière que je qualifierais de gracieuse dans d’autres conditions, mais qui sur le moment présent m’exaspère au plus haut point. Je regarde la pendule accrochée au mur peint en pourpre. Cela va faire presque trois heures que nous sommes ici, et il n’a toujours pas mentionné la raison de ma présence.
- Quelque chose ne va pas, Alisen?
Sa voix est rocailleuse et me fait sursauter. Quand il parle j’ai l’image d’une avalanche de pierre en tête.
- C’est… joli ici, dis-je à défaut de trouver mieux.
- Oui. J’ai tout fait moi-même.
- Oh.
Personnellement, je n’ai rien à faire de discuter déco intérieure mais je n’ose pas être trop directe. Je ne sais pas de quoi cet homme est capable.
- Monsieur Ravenwood et toi êtes proches ?
- Moi et Logan ?
Pourquoi cela l’intéresse-t-il ?
Le Secrétaire hoche la tête en avalant une autre gorgée de son horrible thé.
- On peut dire ça comme ça, oui, dis-je en faisant attention aux mots que j’utilise. On est… bons amis ?
- J’ai vu que ton… ami… a trouvé le traineau. Je ne demanderais pas comment il a su pour le véhicule, bien que la question me taraude l’esprit alors je vais essayer d’être bref.
Enfin. Nous y sommes.
Mon cœur se resserre. Qu’importe ce qu’il a à me dire, ça ne peux pas être bon.
- Je peux te faire sortir d’ici, dit-il.
Le choc me fait m’étrangler avec ma salive. Je tousse pour retrouver mon souffle et regarde le Secrétaire avec les yeux ronds.
- Pardon ? je demande.
- Je peux t’épargner et te faire quitter Only One. Je trouverais une excuse. Qui contesterait le Secrétaire ? ajoute-t-il en me lançant un clin d’œil.
Il me propose de m’évader… de me sauver. Pourquoi ?
Je secoue la tête.
- Non, je ne peux pas, dis-je résolue.
- Comment ça ? demande le Secrétaire comme si je venais de proférer la plus grosse bêtise du siècle. Bien sûr que tu le peux ! Je suis le Secrétaire et un mot…
- Je ne veux pas !
- Voyons, Alisen, ne dis pas de bêtises ! Je te propose de te sauver la vie et toi tu…
- Je ne peux pas laisser mon frère et Logan derrière moi ! je crie.
- Bien sûr que si, répond-il en se penchant vers moi d’un air menaçant. Crois-tu qu’ils resteraient ici si je leur proposais de partir ? Crois-tu qu’ils penseront à toi ?
J’avais tellement envie de lui hurler « OUI ! » mais à présent, je n’en étais plus si sûre.
Logan préfèrerait-il rester ici avec et mourir plutôt que de rentrer chez lui sain et sauf ? Et Clayton… Pense-t-il seulement à moi ? Une partie de mon esprit me dit que si je venais à me battre avec lui, il n’hésiterait peut-être pas à me porter le coup fatal pour survivre.
- Tu vois, dit le Secrétaire en se rasseyant sur son siège, comme s’il avait deviné mes pensées. Ils ne penseraient qu’à leur propre petite personne. Comme tout le monde dans ce genre de situation. Fait-le aussi, Alisen. Arrête donc de penser aux autres et penses à toi !
- Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? Pourquoi soudainement ce besoin de me sauver ? Pourquoi moi et pas un autre ?
- Alisen… ne peux-tu pas te contenter de ce que tu as sous les yeux sans chercher à comprendre comment tu y es arrivé ?
Logan m’a dit exactement la même chose pour la découverte du traineau. Ça me fait bizarre de voir que deux personnes aussi différentes que le Secrétaire et mon petit ami me disent la même chose. Mais mon questionnement est légitime. Pourquoi moi ?
- Je veux savoir pourquoi vous m’avez choisie moi.
- Mon cœur est avec toi plus qu’avec les autres, voilà tout.
- Votre cœur ? Où était votre cœur quand vous avez lancé Only One la première fois ? Où était votre cœur quand vous avez fait combattre ma petite sœur ? Où était votre cœur quand mon frère et moi avons été tirés au sort ensemble ?
- Ne crie pas, Alisen…
- Et arrêtez de m’appeler par mon prénom ! Nous ne sommes pas proches vous et moi! Nous n’avons rien en commun ! Je ne veux pas de votre aide, dis-je en me levant brusquement de mon fauteuil. Proposez cela à Logan. Sauvez-le, lui. Ou à mon frère. Mais pas à moi. Je refuse de me comporter comme une lâche.
- Tu préfères donc être un cadavre courageux qu’une fille lâche mais vivante.
- Oui. Sauvez mon frère ou Logan. Mais ne comptez pas sur moi.
Je me dirige vers la sortie à grands pas mais le Secrétaire me devance et il se plaque contre la porte et m’empoigne par les épaules. Son visage masqué n’est qu’à quelques centimètres du mien. J’ai une irrépressible envie de lui faire mal. De lui faire très mal.
- Fais attention, Alisen, dit-il en collant sa bouche à mon oreille. Fais attention. Le danger rôde partout et un accident est si vite arrivé.
- C’est une menace ? je demande, la voix tremblante.
- Un avertissement, dit-il en me lâchant.
Ses yeux et sa bouche sont les seules choses visibles de son visage mais la colère est quand même lisible.
Il se déplace et me contourne sans me quitter des yeux. Je me précipite sur la poignée et sors dehors. Je traverse le jardin et pesse le grillage de barbelés au pas de course.
Je continue de marcher jusqu’au centre des bâtiments administratifs sans but précis, une question en tête : comment faire pour retourner au centre ? Je marche jusqu’à trouver mon bâtiment administratif. Le « 8 » brille dans la lumière qui décroît. Il est bientôt 19 heures et j’ai raté une demi-journée d’entraînement. Tout ça pour quoi ? Pour rien au final…
La discussion tourne en boucle dans ma tête. Je ne comprends pas pourquoi le Secrétaire m’a proposé de me sauver… Son sentimentalisme je n’y crois pas. Il a forcément une autre raison.
Un vrombissement me fait lever la tête et j’étouffe un hoquet de surprise.
- Tu as été bien longue, dit Logan en s’avançant vers moi.
- Mais qu’est-ce que tu fais là ? Je t’avais dis de rentrer au centre ! Mais merde Logan ! Si tu…
La fin de ma phrase ne franchit pas mes lèvres car Logan en a obstrué la sortie des siennes. Je lui rends son baiser avec une vague de chaleur dans le ventre et ses mains se posent sur mes hanches. Ses lèvres sont douces.
Je passe mes bras autour de son cou et me mets sur la pointe des pieds pour mieux l’embrasser.
On reste comme ça, à s’embrasser, bien trois minutes puis Logan rompt le contact et plonge son regard bleu dans le mien. J’écarte une mèche brune de ses yeux et pose un dernier baiser sur ses lèvres avant de me détacher de son corps.
- Il te voulait quoi le Secrétaire ? dit-il en se dirigeant vers le traineau.
- Je préfère ne pas en parler ici, Logan. Et d’ailleurs il nous avait repérés depuis un moment.
- J’ai pas franchement essayé d’être discret.
- Non, je vois ça…
- Oh arrête de te plaindre ! Monte, on y va.
- Je te dirais bien de te mettre du côté passager et de me laisser le volant mais je ne sais pas conduire.
- Je conduis si mal que ça ? demande-t-il en souriant.
- Pire encore, je réponds en m’asseyant à côté de lui. Essaye de les prendre large les virages.
- Je ne te promets rien, princesse. Tu me raconteras tout une fois au centre.
- Oui.
- Vraiment tout ?
Je le regarde et là, j’hésite. Dois-je vraiment tout lui dire ? Lui parler de la proposition du Secrétaire et de sa menace ? Lui dire ce que pense le Secrétaire de lui ? Une vérité partielle ne fait jamais beaucoup de mal. Du moins, c’est ce que j’essaye de me faire croire.
- Oui. Oui, je te raconterais tout.
Logan acquiesce, satisfait et démarre. Sur le chemin du retour, nous traçons tout droit. Nous pourrions nous promener dans le camp mais ce serait du temps perdu. J’essaye de ne pas regarder le bâtiment de mon frère au loin. Mais c’est dur. Très dur.
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