Chapitre 6
- Vas-y ! N’hésites pas à frapper ! m’encourage Garrett.
Je balance mon poing sur le sac en poussant un cri de rage. J’enchaîne avec un coup de pied rotatif et avec un autre uppercut.
Mes muscles me font souffrir, ainsi que mes blessures, et pourtant mon cerveau les met à part pour se focaliser sur la source d’énergie qui brille en moi. Mon frère.
Au début de l’entraînement, je frappais le sac sans trop de conviction. Puis Garrett m’avait demandé de penser à mon frère et à ce qu’il deviendrait s’il était blessé et sans défense face à plusieurs. La rage avait aussitôt prit les commandes de mon corps et les coups fusaient.
J’en voulais à ma mère de ne pas avoir été là pour nous dire adieu. J’en voulais à Logan d’être tombé amoureux de moi. J’en voulais à Emily de ne pas avoir été assez forte. J’en voulais à l’Empereur et à son secrétaire pour avoir conçu ce génocide. Mais j’en voulais surtout à moi-même de ne pas accepter qui je suis devenue.
Et maintenant, à bout de force, je donne un dernier coup dans le sac de sable et m’affale au sol. La colère partie, et l’adrénaline avec, mes blessures me font de nouveau mal. Mes cheveux blonds me protègent du reste de la salle, et j’en profite pour libérer la larme qui menaçait de couler depuis un moment déjà.
Je sens le regard de Garrett sur mon dos, mais le coach à le bon sens de me laisser tranquille. Après une heure et demie d’entraînement à ses côtés, j’ai l’impression de le connaître aussi bien que mon frère. Contrairement à sa manière de procéder avec Kelyan, il est du genre patient avec moi et ne m’en demande pas trop. Tant mieux d’ailleurs parce que je ne pense pas que j’aurais apprécié très longtemps qu’il me hurle en pleine face. Et puis sa carrure d’ogre est la seule chose rassurante à laquelle je réussi à m’attacher dans cet enfer.
Je reste ainsi quelques secondes puis John, l’entraîneur de la salle élémentaire, frappe dans ses mains et crie pour ce faire entendre de tous.
- Aller ! Vous avez bien travaillé pour ce matin. Allez vous reposer un peu. L’entraînement reprend cette après-midi à partir de 14h. une sonnerie devrait vous annoncer le début de la séance mais dans le doute surveillez bien vos montres. Vous pouvez y aller.
Des soupirs de soulagement résonnent dans la grande salle. Je me relève tant bien que mal mais je suis soudainement prise de convulsions.
Je retombe sur le dos et je ne vois plus qu’un point de couleur au centre de ma vision. Le reste est entièrement noir. Mais que m’arrive-t-il ?
Mon esprit se promène entre la réalité et l’inconscience, et la frontière entre les deux se fait de plus en plus imprécise. Bientôt, des voix paniquées parviennent à mes oreilles. Parmi elles je reconnais celle de Logan.
- Elle a besoin de drogue ! Emmenez-la à l’infirmerie. Vous là ! Qu’est-ce que vous attendez ? Qu’elle meurt ? Portez Alisen ! Elle a besoin de drogue, et vite sinon elle va délirer.
- Ce n’est pas possible ! gronde une femme que je suppose être l’infirmière. C’est justement la drogue qui lui inflige ses…
- Faites ce que je vous dis !
Quelqu’un me porte alors dans ses bras et me cale contre son torse. L’odeur me dit vaguement quelque chose. Mais mon cerveau ne prend pas la peine de l’analyser plus que ça. Il est bien trop occupé à combattre les premières hallucinations.
Mes yeux s’accrochent pour rester ouvert mais la fatigue me submerge et j’ai l’impression de couler. Mais je ne m’endors pas.
Des images se forment au creux de ma rétine. Leurs couleurs sont trop vives mais je ne peux rien faire et je sens les larmes couler, mes yeux blessés par tant de clarté.
Les voix autour de moi ne deviennent plus qu’un détail. Je ne sens même plus le corps de l’homme contre moi. Toutes mes forces sont canalisées sur les visions qui vont me faire perdre la raison. Malgré mes efforts, je reconnais le visage de ma sœur et de mon frère. Ceux-ci sont baignés de sang et une lueur meurtrière brille dans leurs beaux yeux bleus. Un cri de protestation résonne à mes oreilles et je réalise qu’il vient de moi.
Peu à peu, je retrouve le sens du toucher et comprends que je suis allongée sur un lit, pieds et poings liés aux barreaux. Mon corps est parcourut de soubresauts, et de la sueur recouvre mon visage. Puis une douleur aigüe me transperce la bras droit.
Je tourne la tête vers la source et vois avec horreur une seringue remplit de drogue plantée dans mon avant bras. Je redresse mon buste, et me penche sur la piqûre jusqu’à pouvoir la toucher de mes lèvres. Puis je prends cette dernière entre mes dents et l’arrache d’un coup.
- Alisen, non ! rugit une voix, sans doute celle de Garrett.
- Elle est coriace. Je vous ai dit qu’elle a essayé de me rendre aveugle plus tôt ce matin ?
- On s’en fout Kelyan ! s’énerve quelqu’un que j’identifie sans mal.
- Logan, calme-toi, dit doucement l’infirmière. Elle va bien.
- Alors pourquoi continue-t-elle à…
- Laisse le temps à la drogue de faire son effet, répond-elle en me replantant la seringue.
Cette fois-ci je me laisse faire, consciente que sans ça je ne tiendrais pas longtemps dans l’arène. L’idée de me battre avec des seringues à mes côtés ne me fais pas franchement plaisir, mais si il n’y à que ça pour survivre alors pourquoi pas…
L’infirmière avait vu juste, car deux minutes après je peux de nouveau voir clair et mes sauts de biche apeurée ont cessés complétement.
Je jette un œil aux personnes présentes dans la pièce et je ne suis pas surprise de constater qu’ils sont tous là. Garrett, John, les trois autres entraîneurs ainsi que mes « camarades » de chambres. Tous me regardent avec une peine non dissimulée. Logan est le plus proche, assis à mon chevet, encore… Ses yeux sont brillants et une larme solitaire coule le long de sa joue. Je veux lever la main pour la lui effacer mais je me rappelle que je suis attachée. Logan semble avoir perçu ma détresse et s’attaque doucement aux liens qui me retiennent.
- Non, Logan ! proteste l’infirmière.
- Vous avez dit vous-même qu’elle allait bien…
- Oui, c’est vrai…
Le jeune homme prend délicatement la première sangle, celle de mon poignet gauche, et la défait avec mille précautions. Sous le regard attentif de l’infirmière, il fait de même avec les trois autres et je me retrouve enfin libérée de mes liens. Je lève mon bras gauche afin d’inspecter ma brûlure. Du sang coule de la plaie causée par la sangle. La douleur en est presqu’insupportable. Je grimace et je sens mon dos me brûler lui aussi.
- Mince ! s’exclame l’infirmière en faisant sursauter les garçons autour d’elle. Ses blessures !
- Laissez. Je vais m’en occuper, intervient Logan.
Les doigts du jeune homme se posent sur mon bras gauche et caressent la peau brûlée. Là où sa peau est en contact avec la mienne, des dizaines de poils se soulèvent sous l’effet de la chaire de poule. L’infirmière pose sur ses genoux un pot de crème et d’un geste, elle fait évacuer la pièce.
Il ne reste plus que Logan et moi.
Ses doigts badigeonnent habilement ma peau calcinée. La crème est froide et un doux soulagement m’emplit le cœur. Je ferme les yeux de bonheur.
- Tourne-toi, chuchote-t-il.
J’obtempère immédiatement et dévoile mes balafres. Je me pose sur mes coudes et le regarde me tartiner le dos. Je peux voir dans ses yeux une douceur extrême, et une attention complète. Quand ses doigts se posent sur la plus profondes des entailles, je ne peux m’empêcher de pousser un petit cri de douleur.
Il tourne alors la tête vers moi, paniqué. Je lui fais signe que c’est bon et il continue à panser mes blessures.
Quand il a terminé, il remet mon t-shirt en place, referme le pot et s’avachi dans sa chaise.
Nos regards se croisent. Je lui souris. Après une courte hésitation, Logan me le rend en mille fois plus radieux, révélant ses dents parfaitement blanches, et pose son menton entre ses deux mains.
Sa tête se trouve à quelques centimètres de mon matelas. Je me rapproche du bord et le regard fermement dans les yeux.
En ravalant ma culpabilité, j’avance mon visage vers le sien et Logan suit le mouvement. Nos lèvres ne sont plus qu’à deux centimètres. Je suis soudainement prise de bouffée de chaleur et ma respiration est plus rapide. Je franchis l’espace qui nous sépare, et quand mes lèvres touchent les siennes, la porte de l’infirmerie s’ouvre à la volée.
- Oups…, dit Kelyan en refermant la porte.
Quand le jeune homme sort, Logan se lève et fait de même, sans se retourner.
Je suis seule. Une douleur sourde me donne soudainement envie de vomir. Je cherche la source sur mon corps puis je réalise que cette source, c’est mon cœur…