Chapitre 5
En serrant les poings de frustration, je tente en vain de comprendre l’utilité des armes qui me sont proposées. Certaines sont aussi grandes que moi, tandis que d’autres dépassent à peine la largeur de ma main. J’avise un trident, qui me semble intéressant compte tenu de mon environnement, et le prends en main.
Je m’aperçois avec étonnement que l’arme est aussi légère que si elle avait été faite dans de l’aluminium. Je fais quelques gestes avec et je manque de transpercer l’entraîneur. Je le repose immédiatement.
Non, ce n’est pas pour moi ça…
Je baisse les bras en soufflant d’exaspération, mes capacités de combattante soudainement remises en cause. Je commence vraiment à perdre espoir quand mon regard est attiré par une demi-douzaine de petites lames. Je les regarde attentivement et remarque que les tranchants ont un étrange reflet rosâtre.
Du poison.
Je fais un signe de tête au coach et m’empare des lames empoisonnées. Même si je n’ai jamais eu l’occasion d’en utiliser, je ne pense pas que cela soit très compliqué. Au pire j’apprendrais sur le terrain.
Ensuite je me dirige vers une seconde table sur laquelle tout un tas d’objets de survie sont disposés.
- Je te rappelle que ton environnement est la plage, me dit l’entraîneur.
J’acquiesce et regarde ce qui m’est proposé.
Instinctivement, mes doigts se posent sur un flacon de gaz de schiste. L’entraîneur tousse comme pour désapprouver mon choix. Mais je sais ce que je fais, et continue mon inspection sans y prêter attention.
A part une corde de plusieurs mètres, je ne prends rien d’autre et je me pose devant la porte noire, les nerfs à vif. Je passe la corde en bandoulière autour de mon cou et son mon aisselle, et patiente. Mais la porte ne s’ouvre pas.
Je jette un regard interrogateur au coach. Ce dernier me regarde avec les sourcils arqués et les yeux grands ouverts.
- Tu ne prends que ça ?
- Oui, c’est suffisant pour ce que je compte faire.
Le coach me regarde, l’air dubitatif. Puis il hausse les sourcils et ouvre la porte.
- C’est toi qui vois. L’infirmerie se trouve à…
- Je sais où se trouve l’infirmerie, dis-je mauvaise et relativement vexée par ce manque de confiance et d’estime de sa part.
- Dans ca cas… Tu choisis quel aspect ? Vu ce que tu prends avec toi je te conseille la discrétion.
- Je prends l’efficacité.
- L’efficacité ?
- Oui. Tuer le plus en moins de temps possible. Vous avez bien ça, non ?
- Oui, oui. Va pour l’efficacité…
Il programme ma salle et m’indique d’un hochement de tête que je peux entrer à l’intérieur.
Avant que la porte ne se referme derrière moi, je peux entendre la voix du coach hurler.
- Garrett ! Appelle l’infirmière. J’en aurais besoin dans très peu de temps.
Pff… Ils manquent tous cruellement de confiance ici.
Je regarde devant moi et mon souffle se perd dans ma poitrine. La vision qui s’ouvre à moi est époustouflante.
Les remous de la mer sont comme une berceuse et mon corps se balance en rythme avec elle. Je suis comme hypnotisée. Mes pieds avancent sans mon consentement et se dirige vers l’eau. Mes chaussures s’enfoncent dans le sable humides et je sens l’eau s’infiltrer dans mes chaussettes. Mais je continue à avancer tout de même. La corde me gène alors je l’enlève et la jette sur le sable. Les lames et le flacon subissent le même sort juste après.
L’eau monte rapidement et j’en ai bientôt jusqu’au hanches. Mon buste poursuit son balancement hypnotique et soporifique. Puis une vague plus haute que les autres me recouvre entièrement.
Quand je peux de nouveau respirer sans avaler de gorgée d’eau salée, je me rends compte que je n’ai plus pieds.
Mais pourquoi suis-je allée si loin ?
Puis je me rappelle ce que m’a dit le coach. Tout dans cette salle est un ennemi. Et je viens de plonger tête la première dans le plus gros.
Je bats frénétiquement des bras pour rester à la surface, puis une fois stabilisée je procède à mon retour sur la terre ferme. Seulement, quand je lui fais face, j’aperçois quatre bestioles énormes postées de part en part des mon matériel, leur regard rivé sur moi.
La panique s’empare de moi telles les vagues sur la plage. L’imbécile que j’ai été ! Me faire avoir à peine entrée dans la salle de simulation.
Comment vais-je donc faire pour les massacrer ? Et surtout comment faire pour m’en sortir ?
Mon cerveau tourne aussi vite qu’il peut mais la quantité astronomique d’eau autour de moi m’empêche d’avoir les idées claires. De plus deux des bestioles s’approchent du bord de l’eau. Leurs six pattes réparties de manière égale autour de leur carapace ne permettent aucun doute quand à la nature des monstres. Des crabes. Déjà quand ils font la taille d’une demi-main je ne les apprécie pas, alors maintenant qu’ils mesurent dans les deux mètres d’envergure je panique entièrement.
Je ne peux tout de même pas rester là, au beau milieu de l’eau, alors que le fond regorge sûrement de machins encore pire que ceux là ! C’est donc avec cette idée là que je nage vers le rivage. Puis un plan se forme dans mon esprit, et plus j’y pense, plus il me semble bon.
Je change de cap et nage vers ma droite, là où le sable semble particulièrement mou. Quand mes pieds touchent le sol, les crabes sont presque sur moi. Malgré l’engourdissement, je force mes jambes à courir mais celles-ci ont du mal à comprendre le message.
- Aller les jambes, on court, j’encourage.
Je sais que j’ai l’air idiote à parler à ms jambes, mais le fait est qu’elles retrouvent presqu’aussitôt leur vigueur. Je fonce sur les deux crabes, tête baissée. Je ne suis pas sûre de ce que je fais, mais foutue pour foutue, autant essayer.
En me voyant arrivée sur eux, les monstres ralentissent brièvement puis repartent pour m’affronter. Le premier me saute dessus avant que je ne m’en rende compte et ce n’est que par chance que je l’évite. Les pattes du monstre s’enfoncent dans le sable alors qu’il freine pour faire demi-tour. Seulement il ne réussi pas à ce dépêtrer du bourbier dans lequel je l’ai emmené. Il se tortille et son poids considérable ne fait que l’emmener un peu plus profondément dans le sable mouvant.
Plus que trois.
J’accélère mon rythme et esquive le second crabe, qui ne tarde pas à faire la même chose que son camarade. Mais avant qu’il ne s’enfonce, il parvient à me lacéré le dos d’une de ses pattes griffues. Un cri de douleur s’échappe de ma gorge. Pour un hologramme je le trouve particulièrement douloureux ! Je me retourne furieusement vers la bête. Mais celle-ci a déjà disparu. Je ne vois plus que ses antennes dépasser du sol.
Légèrement soulagée par ces deux victoires, je me précipite vers l’endroit où j’ai abandonné mes armes. Trois autres monstres ont rejoint le groupes et ils me font tous face, une lueur de menace et de soif de vengeance dans leur yeux. Ma cadence ralentie et ma respiration devient soudainement laborieuse. Je réalise que mes chance de victoire sont faible, voire nulle. Si seulement je pouvais récupérer mes affaires !
La première bestiole est à une dizaine de mètres de moi. J’avise un rocher et ajuste mon angle de course. Le crabe me suit en poussant un cri qui me fait trébucher de frayeur. Je me remets debout et la peur me donne des ailes. Je saute sur le rocher et rebondit dessus pour atterrir derrière le barrage de crabes. Je récupère les lames et le flacon et les coincent entre la ceinture de mon pantalon et mes hanches.
Quand à la corde je la déroule aussitôt et encercle les quatre monstres. Des pattes meurtrières fusent de tous les coins et je dois me contorsionner pour ne pas me faire arracher le visage. Je tourne autour du paquet et au bout de trois tours, je tire la corde vers moi et le piège se resserre aux pattes des monstres qui se retrouvent enchevêtrés les uns sur les autres.
Du coin de l’œil j’aperçois le dernier crabe qui descend du rocher et lui envois deux lames empoisonnées entre les deux yeux. Le monstre fait quelques pas incertains puis s’écroule, les pattes en l’air, raide mort.
Je me concentre de nouveau sur le tas de pattes qui ne cesse de gigoter. Par précaution, je fais un autre tour et serre encore plus fort. Si je veux que ça réussisse, j’ai plutôt intérêt à ce que toutes les chances soient de mon côté.
Sans lâcher la corde, je sors le flacon. Je secoue la bombe et asperge les quatre bestioles. A peine le gaz touche-t-il les monstres que ceux-ci s’embrassent.
Gaz de schiste et eau salée… Ce n’est pas un bon mélange et malheureusement pour les crabes, ils étaient recouverts du combustible.
L’explosion provoquée par la combustion à dégagé une telle vague de chaleur que j’en ai la peau de l’avant bras gauche brûlée. Mais ce n’est pas grave car ce qui compte c’est que j’ai réussi l’entraînement.
Mais pourquoi la salle reste-t-elle ainsi ? Elle devrait redevenir normale…
Puis la réponse à ma question surgit de nulle part et vient se poster devant moi. Un crabe plus gros que les autres me fait face et lorsqu’il lève ses deux pinces, je peux voir du poison couler des extrémités.
Mince.
S’il est fait de poison, mes lames n’ont sûrement aucun effet sur lui ! Dans le doute j’en jette trois, qui atterrissent encore une fois entre les deux yeux de la bête. Mais elle ne semble pas s’en être rendu compte et claque ses pinces, l’air relativement énervée.
On se jauge pendant une minute entière. A part son ventre, je ne vois pas de point faible. Mais le problème est que je ne pense pas pouvoir l’atteindre sans récolter au passage un baisé empoisonné.
J’aurais peut-être besoin de l’infirmière, tout compte fait…
Perdue dans mes réflexions, je ne vois pas la créature se jeter sur moi. Celle-ci m’écrase sous elle et je me retrouve coincée. Je n’arrive même pas à bouger tellement elle est lourde et je sens mes poumons se vider peu à peu de leur oxygène.
Alors que ma vision commence à s’obscurcir, la bête se lève et j’en profite pour me faufiler loin d’elle. Je regagne mon perchoir avant qu’elle ne remarque mon absence et cherche désespérément quelque chose d’utile pour me débarrasser de la créature. Je n’ai malheureusement pas le temps et empoigne le premier gros bout de bois qui me tombe sous la main.
Je saute derrière le rocher et le crabe écrase ses pinces là où je me tenais quelques secondes auparavant. Le reste du corps suit et le monstre siffle de colère. Il atterri lourdement à mes côtés et l’une de ses pattes se brise dans un craquement sonore. Je cours le plus loin possible de la créature en respirant bien fort et rectifie ma trajectoire sur une grosse marche de pierre.
Malgré sa patte cassée, la créature me poursuit à une allure rapide et lorsque je saute sur la marche elle n’est plus qu’à une quinzaine de mètres. La fatalité s’empare peu à peu de moi et mon cœur bat de plus en plus irrégulièrement.
Puis un rayon du soleil couchant, brillant à la surface de sa carapace, me révèle la présence d’une fissure profonde. Je sers le bâton à deux mains et attends que la créature se rapproche. Si je rate cette action, je rate tout.
Quand elle arrive à deux mètres, je saute le plus haut possible et, avec la force du désespoir, enfonce violemment mon arme improvisée dans la faille de la carapace. La créature rugit et rue, me désarçonne. Puis dans un dernier soubresaut, elle s’effondre sur elle-même et cesse de bouger définitivement.
Une vive lumière jaillit alors et la salle redevient grise. Une voix sortant d’un micro dit :
- C’est bon Alisen, tu peux sortir.
Je ne me le fais pas dire deux fois et m’empresse d’ouvrir la porte.
Je suis surprise de constater que tous ont rejoint le stand et que leurs yeux sont écarquillés. Je remarque également un écran et j’en suis ébahie de colère.
- C’était filmé ! dis-je en hurlant.
Un long silence me répond. Puis un entraîneur prend la parole.
- Tu disais quoi tout à l’heure John ? demande-t-il à mon coach. Elle va se faire massacrer c’est ça ?
Des rires nerveux et impressionnés suivent sa réplique.
- Je ne pouvais pas savoir qu’elle connaissait cette combustion ! Elle… Elle n’arrivait même pas à manier un trident !
- Il faut donc croire que je préfère les choses plus petites, je réponds. Comme les mecs le disent si bien : ce n’est pas la taille qui compte, mais plutôt ce qu’on en fait avec.
Je repose le flacon de gaz ainsi que la lame inutilisée et fais face à mon entraîneur.
- Alors si ça ne vous dérange pas j’aimerais passer à un autre stand, le temps de récupérer un peu.
Je le contourne et passe devant l’infirmière. Cette dernière m’attrape le bras et examine ma brûlure.
- Ça va aller, lui dis-je.
- Et ta blessure au dos ?
- Ça va, je vous dis. J’irais vous voir à la fin de mon entraînement.
- Change au moins de vêtements ! Ils sont trempés !
- Ça séchera.
Alors que je me dirige vers le stand de combat à mains nues, mon regard se pose sur Logan. Nos regards se croisent une fraction de seconde, puis il baisse la tête. En passant devant lui, Kelyan me fait un clin d’œil et articule silencieusement un mot.
Je comprends sans peine ce qu’il veut dire. Pas la peine de l’ignorer. Kelyan a raison.
Maintenant je suis une tueuse.