Chapitre 10
Le couloir dans lequel nous déambulons m’est entièrement inconnu, pourtant Logan m’affirme d’être passée par là le jour de mon arrivée. Pour la énième fois, je maudis ma récente dépendance à la drogue qui me fait tout oublier. Je ne sais pas ce qui me fait le plus peur.
Le noir absolu dans lequel nous marchons depuis quelque temps est si oppressant que je le sens presque sur ma peau. Coupée de ma vue, je me fie à la main de Logan dans la mienne pour avancée. Je ne saurais dire combien d’embranchement nous avons pris, car j’ai très rapidement abandonné toute tentative de me repérer dans ce foutu labyrinthe. Tout ce que je sais, c’est que ça en fait un paquet… et cet étrange crissement sous mes pieds me donne la chair de poule. La chair de poule peut s’expliquer par la chute brutale de température mais le crissement… Je suis peut être nulle en course d’orientation mais ce dont je peux être certaine c’est de ne pas être sortie du bâtiment ! Alors bordel, où sommes nous ?
Depuis une vingtaine de minutes, Logan m’entraîne dans le dédale qu’est notre centre. Au début, j’essayais de deviner où on allait, puis il y a eu cette panne de courant et dès lors nous nous déplacions à tâtons. Si la démarche de Logan n’était pas si assurée, je penserais sans doute que nous sommes perdus. D’ailleurs je le pense quand même, car pour ma part, je ne sais vraiment pas où on est. Pour faire court, ma connaissance des lieux se résume au dortoir, au self et à la salle d’entraînement. Je me doutais que le centre était grand mais tout de même…
- T’es sûr que c’est le bon chemin ? je demande en libérant un nuage blanc.
Seigneur mais il fait combien ?
- Alisen ! Ca doit être la septième fois que tu me le demandes !
- Simple mesure de précaution. Je me dis que tu t’es peut-être rendu compte qu’on est paumé depuis la dernière fois que je te l’ai demandé.
- C’est le bon chemin, Ali.
- Prouve le moi alors. Il fait aussi sombre que dans le cul d’une vache ici. Comment peux-tu te repérer ?
- Je te dis que je SAIS où on est, merde ! Ali, tu ne me fais pas confiance ?
- Je ne vois vraiment pas pourquoi tu demandes ça…
- Aaaah… Ne jamais compter sur le soutient d’une femme… Aïe ! Hey c’était mes dents ça !
- Désolée, je visais ton épaule. Mais dans ce noir je ne vois rien. Ca va ?
- Tu m’as défoncé le dentier, mais globalement ça peut aller.
Un frisson me parcourt le corps et mes dents s’entrechoquent. La température doit être proche de zéro à présent.
- Tu veux ma veste ?
Je n’ai pas vraiment le temps de répondre car je le sens s’arrêter et les froissements d’un vêtement qu’on enlève m’indique que mon… homme ? est soi torse nu soi en t-shirt. Il me pose sa veste sur les épaules, pose un léger baiser sur mes lèvres, et se remet en route en me tenant la main.
- Logan…
- Tait-toi et contente-toi de me suivre. Et tiens bien ma main ça glisse.
- Ça va, je peux tout de même marcher sans…
Le reste de ma phrase reste coincée dans ma gorge car je dérape et m’étale de tout mon long. Je reste étendue sans bouger quand une désagréable sensation d’humidité s’empare de mon corps. Je redresse le buste et un paquet humide tombe sur ma main.
- De la neige ?
- On doit être au niveau de conservation.
- Le niveau de quoi ? En quoi un frigo géant peut leur être…
L’évidence me frappe aussitôt. Oui. Cette partie du centre peut être très utile en effet… car avant d’être envoyés chez eux, les corps des enfants tués sont conservés le temps que l’équipe se charge de les rendre présentable quand il reste quelque chose d’eux… puis les choses se succèdent, et de fil en aiguille, j’en vient à imaginer Emily, ma petite sœur, stockée ici en attendant la date de remise des corps. Tel un incendie, la colère déferle sur mon cœur et je me redresse violement.
Avec l’aide de mes mains, j’avance le long des murs. Logan ne dit rien, mais je sais qu’il est juste derrière moi. Ce salaud de Secrétaire ! Il m’invite ? Et bien d’accord, mais c’est à ses risques et périls !
Animée par cette rage dévastatrice je m’enfonce de plus en plus dans le corridor. Au bout d’un moment, Logan me tire la manche et réajuste ma trajectoire. Rien ne m’arrête, et sous les fréquentes corrections du jeune homme, je pénètre encore plus profondément dans le centre. Avec un sentiment de fierté, je me dis que nous sommes sûrement les premiers à aller si loin sans nous faire arrêter.
Cette excursion à l’aveuglette dure un moment. J’ai mal au bras, mal aux jambes… en fait j’ai mal à peut près partout. Sur le point d’abandonner et de laisser la place de guide à Logan, je rencontre mon premier vrai obstacle. Une porte en métal, la première depuis que nous sommes partis. Je fais part de ma découverte à Logan.
- On y est, dit-il dans un murmure où la joie est évidente. C’est là Alisen !
- Qu’est-ce qui est là ?
- Notre moyen de transport.
Et il accentue sa parole du geste. D’un grand coup d’épaule, il ouvre la porte et j’ai soudainement l’impression d’être aveugletellement la lumière qui sort de la pièce est vive. Automatiquement je couvre mes yeux d’une main et tend la deuxième en avant dans l’espoir de rencontrer un point d’ancrage. La main de Logan s’accroche à mon bras et il me donne un baiser sur la joue qui résonne.
- On y est ! Alisen ouvre les yeux !
Plus facile à dire qu’à faire. En me préparant au choc à venir, j’ouvre une paupière. Le flot de lumière semble être moins aveuglant que prévu et j’ouvre donc la deuxième.
Je ne sais pas comment je pourrais décrire ce que je vois. Disons que… imaginez le traineau du père noël, ajoutez-y un ou deux réacteurs, faites le une dizaine de fois plus grand que l’original et vous obtenez l’engin posé sous mes yeux.
Je regarde Logan, abasourdie. Ce dernier sourit, tout comme un gosse peut le faire quand il apprend que cette année l’école est fermée. . Puis il saute par-dessus la balustrade de l’appareil et se place sur le siège du conducteur. Il passe un bras par dessus la portière et me dis en baissant des lunettes de soleil imaginaires :
- Tu montes chérie ?
Au bord de l’évanouissement, je caresse le traineau et constate qu’il est fait en métal
- Avec un tel regard, bien sûr. Mais juste, dis moi : d’où tu connais ça toi ?
- C’est un de mes potes qui m’a appris à conduire l’année dernière et…
- Nan ! Je veux dire, le traineau. Comment tu sais qu’il existe ?
Le sourire de Logan s’efface. Dans le regard qu’il me lance, je peux voir que j’ai touché une corde sensible.
- Alisen, tu devrais te réjouir de l’instant présent et non pas te demander comment tu y es arrivée.
- Logan !
- J’ai mes sources.
Je m’apprête à répondre mais je préfère m’abstenir. Il a raison. Je dois me contenter de la fin et non pas des moyens. Du moins pour le moment. Préférant changer de sujet, je grimpe à bord du traineau, et m’assoie à côté de Logan puis demande :
- Tu ne m’avais pas dit que l’endroit était surveillé ?
- C’est vrai. Et ?
- Et où sont les surveillants ?
Il se contente de montrer du doigt différents coins de la salle.
- Des caméras ?
- Tu aurais préféré des gardes peut-être ?
- Logan ! On aurait pu y aller à pieds chez le Secrétaire ! Là, on va se faire tuer !
- Arrête de t’inquiéter, tu veux. Je ne suis pas totalement inconscient.
- Ca veux dire quoi ça ? Logan, tu me caches quelque chose et je n’aime pas ça.
- Mon ange, s’il te plait, fais moi confiance ne serait-ce qu’une seconde.
Mon ange ? C’est aussi inattendu que jouissif. Mon ange… il faut bien un début.
- Tu me promets qu’on n’aura pas de problème ?
- On est voué à mourir. Pire que ça je ne vois pas.
Je ne sais pas comment je dois interpréter ça, mais je dois avouer que ce n’est pas ma principale préoccupation car Logan démarre et appuie sur le champignon. On sort du hangar et je me rends compte à quel point la chaleur du soleil me manque quand celle-ci plonge sur mon visage. Il ne doit pas être plus de midi.
Pour la première fois dans l’histoire d’Only One, des candidats sont parvenus à sortir de leur bâtiment. Etrangement, ce n’est pas la fierté que je sens dans mon ventre, mais plutôt la nausée causée par les virages plutôt mal négociés par Logan. M’accrochant au siège du traineau, je regarde droit devant moi et essaye de ne pas regarder le bâtiment six kilomètres plus loin. Le centre 1. Mon frère.